D’un premier regard, Elsynia semble sculptée pour les salons d’Oppara : grande, élancée, les gestes précis et pleins d’élégance contenue. Des filaments dorés serpentent sous la surface de sa peau, discrets à l’arrêt, mais vibrant lorsqu’elle parle, s’émeut, ou fait appel à la magie.
Ses yeux sont d'un bleu liquide, luisant doucement dans l’obscurité. Trop silencieux pour être sûrs. Son regard trouble : il fascine autant qu’il dérange. Beaucoup évitent de la fixer trop longtemps, de peur d’y voir autre chose que leur reflet.
Ses cheveux, longs et flottants, sont d’un noir ancien strié de mèches cuivrés, comme s’ils avaient noircis par endroits sous le poids d’un savoir trop ancien. Ils retombent en cascade libre, rarement attachés, souvent agités comme par une brise que nul ne sent.
Le corps d’Elsynia évoque une silhouette peinte dans un tableau ancien :
longiligne, souple, presque irréelle. Elle mesure 1,74 mètre, avec des membres fins mais non fragiles, comme si chaque geste était pensé pour ne jamais troubler l’air. Ses épaules sont fines, sa posture droite, forgée par des années d’éducation noble mais jamais rigide. Il y a dans sa démarche une fluidité étrange, un flottement naturel, comme si son corps ne pesait pas tout à fait autant que le monde le voudrait.
Sa poitrine est discrète, équilibrée à la courbe de ses hanches, et sa taille marquée, sans exagération. Son dos est orné, le long de l’épine, d’une ligne d’éclats dorés, fine et presque invisible à la lumière naturelle, mais qui capte les reflets lunaires comme des pierres précieuses oubliées. Ce n’est pas un tatouage. Ce n’est pas naturel. Personne ne sait ce que c’est.
Elle ne porte ni cicatrices visibles ni marques de combats, mais le corps d’Elsynia est marqué par le rêve : parfois, lorsqu’on la regarde trop longtemps, on a l’impression qu’elle est faite d’autre chose, comme si la chair elle-même oscillait.
Ses traits sont fins, délicats, presque immobiles. Un front dégagé, des pommettes hautes, une bouche fine mais expressive, souvent fermée, rarement souriante et lorsque le sourire vient, il semble trop ancien pour cette époque.
Sa peau, d’une clarté nacrée, semble trop lisse pour être réelle ; elle n’a ni taches ni rides, mais une texture légèrement brillante, comme un vernis naturel ou la rosée sur une fleur avant l’aube.
Ses sourcils sont droits, bien dessinés, mais peu marqués comme si son visage évitait tout excès d’émotion visible. Son nez est fin, droit, presque aquilin, et ses lèvres sont d’un rose désaturé, pâles, comme si elles n’avaient jamais été vraiment embrassées par la chaleur du sang.
Quand elle parle, ses expressions sont sobres. Quand elle se tait, son visage devient un masque de calme trop calme, comme une statue qui attend quelque chose depuis longtemps.
De très fines veines d’or parcourent certaines zones visibles de son corps ses tempes, ses poignets, sa clavicule comme si quelque chose de magique ou ancien tentait de s’échapper de l’intérieur.
Ses cheveux ont une décoloration naturelle qui semble liée à son altération magique. Au soleil, ses mèches argentées brillent comme le givre ; à la lune, elles ondulent lentement, même sans vent.
Une forme fine, semblable à une rune fracturée, apparaît parfois sous sa peau. Elle n’est visible qu’à certaines heures de la nuit ou lorsque sa magie s’active. Elle change légèrement de forme au fil des jours, comme si elle cherchait à se stabiliser… ou à se souvenir.
Lorsqu’elle parle dans un espace clos ou sacré, sa voix semble résonner une demi-seconde de trop, comme si un murmure plus ancien accompagnait ses mots inaudible mais ressenti.
Discrète mais présente. Ceux qui l’approchent notent un parfum d’électricité avant la pluie, mêlé à quelque chose de végétal, presque fané, rappelant un bouquet abandonné sur un autel.
À son approche, les flammes vacillent, les illusions tremblent, les familiers hésitent. On dit que les miroirs la montrent toujours légèrement différente : un regard plus ancien, une ombre en trop, un reflet qui sourit quand elle ne le fait pas.
Sa tenue principale est une robe longue et fluide, tissée dans un textile sombre, presque noir, mais dont la trame révèle à la lumière des reflets changeants : bleu de nuit, violet profond, gris cendré, comme une étoile morte vue dans l’eau. À la lumière de la lune, les broderies qui ornent la robe presque invisibles de jour s’animent lentement : motifs de racines entremêlées, de cercles fêlés, de plumes, de constellations oubliées.
Les manches sont longues et fendues jusqu’aux avant-bras, révélant des gants d’un gris velouté, toujours portés, qui masquent ses mains marquées de glyphes mouvants. Ces gants sont faits d’un tissu d’origine incertaine ni soie, ni cuir, ni laine mais douce comme de la peau de brume.
Sa robe est fendue sur le côté jusqu’à la cuisse, non pas pour séduire, mais pour faciliter les mouvements silencieux et laisser entrevoir la spirale de ronces dorées gravée sur sa peau.
Un châle semi-transparent, parfois porté sur ses épaules, parfois autour de sa taille, est brodé de minuscules fragments de miroir ternis. Certains renvoient des images différentes que celles qu’ils devraient refléter.
Elle porte toujours à son cou un pendentif discret : un simple cercle fendu, forgé dans un métal pâle non répertorié. Le cercle n’est pas brisé, mais incomplet comme si une part avait été volontairement effacée. Ce bijou est plus ancien que sa maison. Il ne vient pas de ses ancêtres, mais d’avant.
À sa ceinture pend une bourse de cuir végétal contenant non pas de l’or, mais des objets symboliques :
– une dent de corbeau noircie,
– une clé sans serrure,
– un fragment d’os peint,
– et une feuille rouge toujours fraîche, qu’elle n’a jamais pu faire faner.
À l’oreille gauche, une chaînette d’argent brisé relie deux anneaux un en haut du cartilage, l’autre au lobe. La chaînette semble trop courte, et pourtant elle ne tire jamais.
Enfin, lorsqu’elle entre dans un lieu sacré, elle attache parfois un voile fin et translucide sur la moitié gauche de son visage. Non pas pour se cacher… mais pour dissimuler quelque chose qu’elle ne veut pas réveiller.
Elsynia est calme. Non pas le calme d’un esprit apaisé, mais celui d’un silence trop profond, d’une salle abandonnée où résonne encore l’écho d’une prière ancienne. Elle choisit ses mots avec une précision presque douloureuse, comme si chaque parole prononcée pouvait réveiller quelque chose. Sa voix est douce, basse, posée et pourtant, quand elle parle, on écoute. Même ceux qui ne le veulent pas.
Elle observe plus qu’elle ne parle. Elle garde ses opinions pour elle, mais capte tout : les micro-expressions, les hésitations, les non-dits. Dans une conversation, elle répond rarement à ce qu’on dit. Elle répond à ce qu’on cache.
Formée à la cour, elle maîtrise les usages, les jeux de pouvoir, les sourires feints et les silences chargés. Mais elle n’a ni goût ni patience pour les faux-semblants prolongés. Elle préfère la vérité même crue, même douloureuse. La dissonance entre ce que l’on montre et ce que l’on est la fascine autant qu’elle la révolte.
Il y a en elle une compassion froide, presque inhumaine. Elle comprend la souffrance, mais refuse d’y plonger sans raison. Elle n’a pas d’élans émotionnels incontrôlés. Elle a des actes mesurés, des décisions taillées dans la peur et l’amour mélangés, comme une lame à double tranchant.
Sa corruption l’isole, mais elle n’en tire pas de mélancolie romantique. Elle ressent la solitude comme une évidence, non comme une injustice. Ce qui la ronge, ce n’est pas d’être seule, c’est de ne pas savoir ce qu’elle est réellement.
Elle doute profondément, viscéralement mais ne fuit jamais ces doutes. Au contraire, elle les interroge, les travaille, les polit comme des pierres. Elle veut comprendre. Et si la vérité doit la détruire, qu’il en soit ainsi.
Mais au fond, il y a une faille, nue, qu’elle ne laisse approcher à personne : la peur d’être une imposture, une voix volée, un chant qu’on lui aurait insufflé à la naissance, et qui ne lui appartient pas.
Sa première et plus impérieuse motivation est la compréhension. Pas seulement de sa corruption, mais de tout ce qui l’a rendue possible :
les pactes passés par sa lignée, les silences familiaux, les puissances féeriques qui murmurent en elle.
Chaque transformation, chaque vision, chaque marque nouvelle sur son corps renforce ce besoin. Ce n’est pas de la curiosité. C’est une soif existentielle, une angoisse ancrée dans la chair : si elle ne découvre pas ce qu’elle est, alors peut-être n’a-t-elle jamais été réelle.
Elle ne veut pas être guérie. Ni corrompue davantage. Elle veut choisir.
Et tant que la vérité lui échappe, ce choix lui est impossible. Chaque information gagnée, chaque fragment d’histoire arraché au passé est un pas de plus vers ce moment fondamental où elle pourra dire :
« Je continue ainsi. Ou je brise tout. »
Si les pactes anciens qui ont causé sa transformation existent encore, si les entités qui l'ont désignée ou offerte vivent encore, elle veut les confronter. Pas nécessairement pour les tuer. Mais pour rompre la dette, effacer le nom, brûler les archives du serment.
Elle hait l’idée d’être la conséquence d’un pacte qu’elle n’a jamais voulu.
Elle ne veut plus être une offrande.
Elle veut être l’erreur qui refuse d’obéir.
La magie féerique, dans toute sa splendeur, sa délicatesse, sa poésie la fascine autant qu’elle la terrifie. Elle a trop vu la cruauté masquée par la grâce, les horreurs chantées avec des voix d’enfants.
Elle veut dénoncer ce mensonge fondamental : que ce qui est beau est bon.
Et si elle doit en être le contre-exemple vivant, alors soit. Elle le deviendra avec dignité.
Dans sa quête, une conviction étrange s’est enracinée :
certains ont oublié. Elle, elle n’a pas le droit d’oublier.
Des noms effacés, des voix perdues, des vérités rendues folles… Elsynia s’est donné une mission implicite : porter en elle les fragments de mémoire que le monde veut effacer. Même si cela la brise.
Dans les salons feutrés d’Oppara, elle portait toujours des gants. Même enfant. On disait que c'était une coquetterie d’aristocrate. Une imitation de sa mère, morte trop tôt, qui les portait aussi. Mais Elsynia savait que c’était plus ancien que cela. Plus enraciné.
Les Rhalem avaient toujours été trop polis. Trop beaux. Trop discrets. On les voyait, on les aimait, et pourtant on les oubliait étrangement vite. Un sourire, un mot, et les souvenirs s’effaçaient. Elsynia comprit jeune qu’il y avait des accords qu'elle ignorait.
Elle parlait peu, mais quand elle le faisait, les murs semblaient écouter.
À seize ans, lors d’un séjour à Cassomir, tout bascula.
Elle y représentait la maison Rhalem auprès d’un cercle de mécènes et d'érudits accompagné de sa mère. Une exposition d'objets anciens y était organisée. L’un d’eux une coiffe délicatement tressée de métal blanc et de bois fossilisé avait été retrouvé dans une clairière oubliée, au nord du Tanglebriar, à la lisière de la forêt féerique du Kyonin.
On n’en connaissait ni le peuple ni l’usage. Et pourtant, Elsynia, en s’en approchant, eut la sensation d’être reconnue.
Elle s’évanouit.
Quand elle rouvrit les yeux, sa peau était veinée de fils d’or très fins. Ses cheveux auparavant entièrement cuivrés étaient nappés de noirs, recouvert comme si un fusain l'avait reconstruite. Des symboles qu'elle n'avait jamais appris commençaient à apparaître sur sa peau chaque nuit pour disparaître à l’aube. Elle rêvait de plus en plus fréquemment et tout semblait plus vrai, comme une vie oublié.
Son père ne posa aucune question. Il ordonna qu’elle soit tenue à l’écart de la cour et envoyée en convalescence dans un manoir côtier, sous bonne garde.
Mais Elsynia n’était pas stupide. Elle comprit. Ce n’était pas un accident. C’était un rappel. Un appel ancien. Quelque chose dans la forêt dans les royaumes entre les mondes se souvenait d’elle. Ou de ceux dont elle était née.
Elle s’enfuit une nuit de pleine lune, guidée par une brume qui n’était dans aucun bulletin de mer.
Elle passa 6 mois a errer. À chaque pas, elle cherchait à comprendre. Fuyant les conflit, semant des bandits quand elle le pouvait, voyageant au côtés de caravane de marchands comme seule compagnie et protection. Et parfois une réponse éparse, une vieille femme originaire Kyonin lui parla, les yeux humides, des Sept Cercles de Verre et de leur trahison.
Et un nom, murmuré comme une incantation brisée, comme un souvenir honteux :
Rhalem.
Un an qu'elle n'avait plus entendu ce nom, son nom.
Le sang noble qu’elle portait n’était pas aussi pur qu’on le prétendait. Il avait été mélangé. Non pas avec des démons, ni avec des bêtes… mais avec autre chose. Des seigneurs oubliés, des puissances anciennes exilées, qui avaient juré de ne jamais plus pactiser avec les mortels. C'est ce que son esprit pouvait s'imaginer.
Peut-être était elle le prix.
Alors qu'elle se rapprochait d'Absalom. On parlait, dans les cercles d’exilés et de rêveurs, d’un groupe sans blason, d’une guilde. Ravel, disaient ils. Ni mages, ni clercs, ni fous. Juste… des êtres porteurs de fêlures avec des compétences particulières. Des fragments d’anciens serments. Des survivants d’histoires qu’on ne raconte plus.
Elle n’en vit aucun. Elle ne reçut pas d’invitation. Mais le nom resta dans sa bouche comme une graine. Et cette nuit-là, elle se leva, regarda le ciel brumeux, et dit tout bas :
« Je veux savoir. »
« Et si je ne peux comprendre, alors je saurai briser. »
« Mais je saurai. »