Ca a l'apparence d'une grande créature pâle, portant des frasques sombres en mauvais état pour compenser l'éclat d'une fourrure blanche. Ca porte un masque, visiblement fait de bois et peinturluré pour ressembler à un simili-visage. Quatre doigts griffus à chaque main, des pattes ressemblant à celles d'un animal émacié, de grandes oreilles couvertes de fourrure blanche, et un appendice caudal blanc, emmêlé, sale. Une paire d'yeux bleus comme la glace est visible sous le masque, légèrement luminescent comme deux minuscules phares bleutés dans la nuit. Une silhouette fine, longiligne, sans formes véritables, comme une créature émaciée. Quelques lanières de cuir, un sac à la ceinture, et une lance d'aspect presque rudimentaire, une arme de chasse, complètent la tenue de la créature.
Ca s'exprime d'une voix crissante, pas vraiment féminine, ni masculine, comme le pas de griffes sur de la glace. Un accent du nord parmi les gargouillis et crissements.
Traquegivre, comme cette chose se fait appeler, est une fetchling née dans la Baie Brisée, au cœur des Terres des Rois des Linnorms, avait toujours vécu dans l’ombre des glaces éternelles et des vents hurlants.
Dans la Baie Brisée, parmi les Ulfens et les différentes races qui se mélangeaient, la petite vit le jour le 21 de Kuthona, lors du solstice d’Hiver. Issue d’une famille modeste, elle était destinée à suivre les pas de sa mère, une tisseuse respectée dans leur communauté.
Pourtant, dès son plus jeune âge, Traquegivre avait montré des talents différents : elle était agile, vive et dotée d’un instinct hors du commun, qui la prédisposaient à devenir une éclaireuse d’exception.
Traquegivre avait également une habitude singulière durant son enfance : elle adorait chaparder de petits objets appartenant aux villageois. Cela pouvait être une broche, un outil ou même une babiole sans grande valeur. Elle les gardait un temps, les examinant avec fascination, avant de les rendre discrètement à leurs propriétaires. Si certains trouvaient cette manie agaçante, d’autres en riaient, voyant en elle une enfant curieuse plutôt qu’une véritable voleuse.
Cependant, ce n’était pas seulement son agilité qui la distinguait. Depuis son enfance, Traquegivre entendait des murmures dans les vents glacés et les tempêtes de neige qui balayent la Baie Brisée. Elle croyait que ces voix provenaient des esprits du Grand Nord, des entités mystérieuses et puissantes que peu osaient invoquer. Sa croyance lui valait souvent des moqueries de la part des autres villageois, mais elle s’en moquait : les vents lui parlaient, et elle les écoutait.
Un jour, alors qu’elle s’aventurait plus loin qu’à l’accoutumée dans la toundra enneigée, une tempête d’une rare violence éclata. Traquegivre, désorientée, perdit son chemin. Alors que la morsure du froid et la fatigue menaçaient de la submerger, elle vit apparaître dans le blizzard une silhouette immense et terrifiante : un humanoïde émacié, famélique, d’environ 50 pieds de haut, à la tête cornue, la gueule ouverte comme affamée, et surtout, deux grands yeux rouges qui la fixaient avec obstination.
Le premier réflexe de la jeune fetchline fut de courir en direction opposée, jusqu’à ce qu’un mur de vent ne l’empêche d’avancer davantage. La voix grondante de la glace craquelante lui parvint, alors que le Grand Blizzard lui parlait. Comme un père parlant à sa fille.
“Ne fuis pas la tempête.”
Le bruit de pas lourds, qui faisaient trembler la terre, s’arrêtèrent derrière elle. Elle se retourna, faisant désormais face à la gueule béante, garnie de crocs.
“Le Blizzard sera toujours près de toi.”
Une griffe, qui faisait plusieurs fois sa taille, vint lui entailler délicatement le visage, laissant un sillon sanglant dans sa chair.
“Le Vent du Nord portera les odeurs de tes proies.”
Son nez devint une truffe. Les odeurs se firent plus intenses autour d’elle.
“Le Grand Froid chuchotera leurs cris.”
Ses oreilles devinrent animales, touffues. Chaque murmure lui parvenait avec clarté.
Lorsqu'elle releva le visage vers la silhouette famélique gigantesque, elle ne vit que des yeux rougeoyants et affamés, qui la regardaient comme un père regarde sa progéniture. La large silhouette se dissipa bien vite, cependant. La jeune fille se retrouva seule, avec une faim dévorante qui emplissait son estomac, la rongeait comme une maladie et l'empêchait de penser correctement. Pliée en deux par la douleur qui lui emplissait l’estomac, elle finit par perdre connaissance.
Traquegivre finit par se laisser aller, ballotée par les vents et le froid, bien contre son gré. Même si elle avait souhaité s’enfuir ou bouger, elle en était incapable. La fourrure nouvellement poussée sur son corps l'enveloppait comme une couverture, et la voix grinçante du Grand Blizzard s'évanouit dans la nuit, tout comme le vent gelé.
Lorsqu’elle revint chez elle, sa transformation provoqua l’effroi. Les villageois, superstitieux et terrifiés par sa nouvelle apparence, l’accusèrent d’être maudite. Ils voyaient en elle une émissaire des forces obscures du Nord, un présage de malheur. Malgré ses supplications, ils refusèrent de l’écouter, et même sa mère, rongée par la peur et la pression du groupe, ne put la défendre. Ce rejet fut pour Traquegivre un coup plus brutal que les morsures du froid nordique. Elle avait toujours puisé sa force dans les liens ténus de sa communauté, dans les rires discrets autour d’un feu ou les regards complices échangés lors des longues nuits d’hiver. Mais désormais, tout cela lui était arraché.
Alors qu’elle quittait le village sous le regard glacial de ceux qu’elle avait autrefois appelés famille, Traquegivre sentit pour la première fois le poids écrasant de la solitude. Les vents qui avaient été ses alliés se transformèrent en un murmure insidieux, lui rappelant sans cesse qu’elle n’était plus qu’une ombre errante dans un monde qui ne voulait pas d’elle. Ses nuits étaient hantées par les souvenirs des visages familiers qui l’avaient trahie, et ses jours, passés à arpenter des étendues désertiques, lui semblaient interminables.
Mais dans cette solitude imposée, Traquegivre trouva aussi une étrange forme de liberté. Les chaînes invisibles des attentes de sa communauté étaient brisées. Elle n’avait plus à se conformer, plus à se plier aux craintes et superstitions des autres. Chaque pas dans la neige vierge devenait une affirmation de sa volonté de survivre et de redéfinir sa place dans ce monde. Pourtant, au fond d’elle, un vide persista : une douleur sourde, celle de savoir qu’elle ne trouverait peut-être jamais quelqu’un pour comprendre ce qu’elle était devenue.
Les tempêtes devinrent son seul réconfort. Elles hurlaient autour d’elle, comme pour répondre à sa propre colère et à sa tristesse. Elle apprit à danser avec elles, à les dompter, mais aussi à les écouter.
Exilée de son foyer, Traquegivre suivait les murmures du Grand Blizzard comme une fille écouterait son père. Le vent, cet ancien guide et protecteur, soufflait autour d'elle, porteur de chuchotements sacrés et de sagesse glacée. À chaque rafale, elle sentait sa présence, l'appel impérieux du Blizzard-qui-rôde, l'invisible force qui lui était familière et qui, d'une manière presque intime, lui confiait la direction à suivre. Il lui offrait une certitude dans ce monde gelé, un lien puissant qui la guidait dans l'immensité de la neige. Le froid était son allié, la solitude son refuge. Elle avait appris à aimer cette voie, la suivante comme la première, et chaque éclat de givre qui traversait l'air lui apportait une paix ancienne.
Les mois passèrent, le voyage la poussant toujours plus loin dans cette quête solitaire, mais la force du Blizzard ne la quittait jamais. Alors qu’elle arrivait enfin à Absalom, la Cité au Centre du Monde, un frisson d'excitation la parcourut. La chaleur de cette ville gigantesque semblait presque dérangeante après la glace et le vent qui l'avaient accompagnée si longtemps. Elle était épuisée, ses réserves de nourriture épuisées, mais le lien avec le Blizzard, toujours présent dans son esprit, lui offrait la force de continuer. Elle savait qu'ici, à Absalom, il y avait des réponses à trouver, des ressources à acquérir, des opportunités à saisir.
Errant dans les rues animées, son regard d'acier fixait chaque passant, chaque mouvement suspect. Elle se tenait à l'écart, la lance à la main, un prolongement de Sa propre volonté. Une arme ramassée sur un champ de bataille lors d'un bref passage au Niemathas, mais qui avait l'avantage de se montrer maniable.
C'est ainsi qu’elle croisa des mercenaires. Parmi eux, elle entendit parler de la Guilde de Ravel, un lieu où ceux qui cherchaient un but pouvaient s'y faire une place. La promesse d'un travail, d'une ressource, d'une chance d'ascension. Cela attira son attention comme le vent attira le gel. Un endroit où les perdus pouvaient peut-être retrouver leur voie, une chance de se faire un nom dans cette ville immense.
Avec une détermination nouvelle, Traquegivre se dirigea vers la Guilde, sa lance fermement serrée, et ses oreilles sensibles captant les bruits autour. Elle n'était qu'une chasseresse dans un univers complexe, mais elle savait qu'elle trouverait un moyen d'émerger, de s'établir comme une force inarrêtable.
La lame du Blizzard est toujours prête à frapper.