Une elfe d'environ un mètre soixante-quinze, au regard bleu et blanc. Elle arbore de longs cheveux bleutés qui tombent jusqu'à ses hanches, une peau grisâtre, presque violacée. Elle porte un masque autour du bas de son visage. Elle porte des vêtements simples, aux couleurs sombres, et porte une besace à la ceinture. Une cicatrice dépasse de sous son masque.
Veilarith naquit dans les profondeurs inhospitalières des Darklands, un monde où la lumière n’avait pas sa place et où les créatures de l’ombre tissaient leur existence dans un enchevêtrement de cavernes étouffantes et de tunnels sans fin. L'air y était lourd, imprégné d'humidité et de relents minéraux, chaque recoin résonnant des bruissements de chitine et des murmures étouffés d’âmes brisées.
Elle grandit dans une famille de serviteurs, liés corps et âme à un maître cruel dont la seule clémence résidait dans l’indifférence qu’il leur témoignait. Dès qu’elle fut en âge de marcher, on lui enseigna la révérence et l’étiquette appropriée à sa condition d’esclave, un être dont la survie ne dépendait que des caprices de son propriétaire. Dès qu’elle put articuler ses premiers mots, on s’assura, à grands coups de canne sur le crâne, qu’elle comprenne qu’aucun d’eux ne devait être prononcé sans y être autorisée. Très tôt, on lui passa des chaines magiques aux poignets, qui répondaient aux commandes du cruel propriétaire.
Elle était frêle, une ombre silencieuse qui se glissait entre les piliers de pierre froide, s’efforçant d’accomplir chaque tâche sans éveiller la colère de ses maîtres. L’adolescence vint, et avec elle une discipline de fer. Elle devint une servante exemplaire : docile, sage, effacée, un fantôme parmi les vivants. Pourtant, une peur irrationnelle subsistait en elle, incontrôlable – un frisson d’effroi chaque fois qu’une araignée, grande ou petite, croisait son chemin. Un simple mouvement de pattes chitineuses suffisait à glacer son sang, un secret qu’elle s’efforçait de dissimuler de peur que cela ne devienne une arme contre elle.
Puis vint la nuit où tout bascula. Un banquet somptueux se tenait dans la demeure, des lustres incrustés de gemmes projetant des lueurs sanglantes sur les murs d’onyx. Alors qu’elle se tenait dans un coin, discrète, attentive, un bruit sourd fendit l’air. Un craquement sinistre, un cri d’agonie, puis un pilier ancestral, usé par les siècles, se détacha et s’effondra sur elle. La pierre broya sa nuque et sa gorge dans un fracas assourdissant. Une douleur fulgurante embrasa son être, chaque nerf criant dans un silence absolu. Ses cordes vocales furent réduites en miettes. Son souffle devint une lutte désespérée, et le monde s’effaça dans un voile de douleur et de terreur. Elle aurait dû mourir ce soir-là.
Mais ses maîtres ne lui accordèrent pas ce répit. Cruels, fascinés par la souffrance comme on savoure un mets exquis, ils la maintinrent en vie. Chaque inspiration lui arrachait un supplice, chaque geste devenait une torture. Plutôt que de la laisser périr, ils lui infligèrent une punition plus terrible encore. On lui posa un collier enchanté, un artefact chargé d’une magie perverse qui lui permettait de s’exprimer malgré ses blessures. "Pour mieux t’entendre crier", lui murmura-t-on avec un sourire cruel. On lui retira cependant ces menottes qu'elle avait porté toute sa vie, et on lui prodigua des soins, juste assez pour la maintenir en vie.. Une lueur d'espoir qui fut bien vite balayée par l'endroit où elle fut emmenée, brisée, haletante, manquant de tomber inconsciente à plusieurs reprises pendant le trajet.
Puis vint le rituel.
Les Ayindilars, dans leur soif de domination et d’expérimentation, avaient un procédé bien rodé : la transformation en drider. Elle fut livrée aux prêtres, ligotée, incapable de résister, chaque respiration un supplice pour elle. Les incantations résonnèrent, des glyphes sinistres s'illuminèrent sur le sol, et la douleur revint, cent fois pire que tout ce qu’elle avait connu. La peau de ses joues se détendit, brûlante et déchirante, alors que des crocs lui poussaient, et ses traits se modifièrent sous l’effet d’une mutation impie. Son visage se tordit, ses joues s’étirèrent, sa mâchoire se durcit. La douleur dans sa gorge mutilée devint insoutenable, comme si elle était en train de se briser à nouveau.
Mais alors que l’ombre et le chaos tentaient de l’engloutir, un pouvoir étrange se réveilla en elle. Un instinct occulte, une force qu’elle ne comprenait pas encore. Dans un éclair de magie sombre, elle repoussa la malédiction, brisa ses liens et s’échappa dans un flot de ténèbres et de douleur. Ses jambes la portèrent dans une course frénétique, et à plusieurs reprises, son corps fut projeté hors de l’espace, se téléportant instinctivement pour échapper à ses tortionnaires. Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait, comment elle pouvait encore tenir debout dans son état, ce qu'il se passait lorsque son corps tordait l'espace pour réapparaitre à un autre endroit.
Toujours est-il qu'elle était libre. Ses tortionnaires, ses maitres ne semblaient pas vouloir la poursuivre.
Elle ne sut combien de jours elle erra, le corps brisé, l’esprit déchiré. Dans les ténèbres oppressantes des Darklands, elle marcha jusqu’à l’épuisement, guidée uniquement par l’instinct de survie. Par la douleur. Par la rage. Par la peur. Elle se traficota une tenue en chemin, récupérant des bouts de tissu par ci, par là, jusqu'à avoir un vêtement convenable, autre que la simple tenue d'esclave qu'on lui avait enfilé pour le rituel. Nouvellement vêtue, son visage déformé fut caché par un masque qu'elle cousu pour cacher sa face mutilée. Elle prit également le temps d'essayer de comprendre ces pouvoirs qui lui avaient permis la fuite, de rassembler différents objets qui pourraient lui être utile sur la route.
L'elfe sombre erra longuement dans les Darklands. Elle semblait perdre espoir, se cachant de tous les dangers qu'elle aurait pu croiser sur sa route.
Puis elle vit la lumière.
Elle ne savait pas combien de temps s’était écoulé lorsqu’elle émergea à la surface, les yeux brûlés par l’éclat du soleil qu’elle n’avait jamais connu. Le vent caressa sa peau pour la première fois, un air pur qu’elle aspira avec avidité. Mais elle était brisée. Muette à jamais, son seul lien avec le monde n’était que cette voix artificielle, froide et monotone, qui transcrivait ses pensées d’un ton mécanique et dénué d’âme.
Elle n’était plus personne.
Alors elle se créa un nouveau nom. Veilarith. Un nom sans passé, un nom qui n’appartenait qu’à elle. Elle effaça son nom, balayant ce mot qu'elle aurait pu conserver comme une feuille que l'on souffle, comme un vestige d’une vie qui n’aurait jamais dû être.
Le monde était vaste. Inconnu. Terrifiant.
Et c’est avec une appréhension féroce qu’elle poussa les portes de la guilde de Ravel, prête à se tailler un destin qui lui appartiendrait enfin.