Sous sa forme humaine, Yixian (prononcer I-chi-enn) se présente comme une femme d’apparence ordinaire, mais une aura captivante émane d’elle. Ses longs cheveux, d’un noir de jais, s’entrelacent avec des mèches plus claires, créant un contraste qui rappelle la lumière filtrée à travers les feuilles d’un arbre. Ses yeux, d’un doré éclatant aux reflets couleur jade, évoquent la chaleur d’une flamme intense, projetant une profondeur qui semble lire l’âme de ceux qui croisent son regard. Vêtue d’une armure de cuir simple mais élégante, elle arbore un sourire chaleureux et doux, un geste réconfortant pour ceux qui l’entourent.
Yixian porte une lance ornée d’une lune, vestige runique du sanctuaire où elle a vécu, qui lui confère une certaine noblesse et une connexion à son passé. Ses vêtements, bien que modestes, affichent des motifs subtils qui évoquent un style monastique d’un temps révolu, comme un écho d'une époque où chaque pièce racontait une histoire. Sa peau est pâle, presque luminescente, sans tatouages ni marques, ajoutant à son allure d'innocence. Une besace en bandoulière, remplie de petits trésors et de souvenirs, complète sa tenue. Sa forme humaine, basée sur les Tians qui visitaient le temple, est de petite taille, culminant à un petit mètre soixante, de stature plutôt normale.
Lorsqu’elle prend sa forme hybride, Yixian devient plus éthérée, sa silhouette se transformant en une figure plus fine et élégante. Son torse bombé scintille de reflets lumineux, comme si la lumière de la lune s'était mêlée à sa chair. Sa peau, semblable à la surface d’une flamme éthérée, évoque un mouvement constant, une danse entre l’ombre et la lumière. Dans cette forme, ses traits faciaux s’estompent, laissant place à deux yeux dorés qui brillent d’une sagesse infinie.
Ses cheveux, désormais fusionnés avec une chaîne de lanterne, semblent vibrer au rythme d’un souffle invisible. Des fanions de couleurs jade se balancent gracieusement dans son dos, ajoutant une touche de vie à sa présence. Ses mains, allongées en griffes délicates, évoquent à la fois la beauté et la dangerosité, tandis que ses pieds, transformés en simples pics rappelant les trépieds d'une lanterne, ancrent sa forme dans le monde des esprits. Malgré l’absence de bouche, sa voix résonne avec une clarté surnaturelle, comme si les mots jaillissaient d’une essence profonde. Une ligne de bronze noirci fend son visage en deux, un symbole de son lien éternel avec son passé. Elle est beaucoup plus grande sous cette forme, bien que plus fine également, mesurant un peu plus de deux mètres dix.
Dans sa forme de lanterne, Yixian semble une simple lanterne de bronze terni, noirci par le temps. Sa surface est ornée de petits plumeaux colorés et de fanions en jade, qui dansent au gré du vent. Bien qu’elle n’émette plus aucune lueur depuis longtemps, un éclat latent demeure en elle, promettant de raviver la lumière à travers des sortilèges d’éclairement. Sous sa forme de lanterne, elle ne mesure qu'une trentaine de centimètres.
Peu importe sa forme, elle dégage une odeur unique, un mélange enivrant d’encens, de fleurs délicates, de bronze vieilli et de jade, créant une atmosphère apaisante autour d’elle. L'odeur n'est pas suffisamment tenace pour être sentie par n'importe qui, mais une personne avec des sens précis ou trop proche d'elle pourra renifler cette douce fragrance.
Yixian Xiwang est une créature particulièrement calme, irradiante d'une douceur apaisante. Son sourire chaleureux et aimable semble créer un havre de paix autour d'elle, attirant ceux qui l'entourent. Elle trouve du plaisir à écouter les histoires des autres, un écho de sa propre expérience de vie, préférant le murmure tranquille de la conversation à l'agitation. Sa curiosité insatiable la pousse à explorer les subtilités du "nouveau monde", une réalité qui l'émerveille autant qu'elle l'intrigue. Elle est toujours à l'affût des petites merveilles qui l'entourent, que ce soit une interaction humaine ou un phénomène naturel.
Profondément dévouée à Tsukiyo, elle consacre souvent ses moments de prière à la montée de la lune ou au lever du jour, élevant ses pensées vers le ciel nocturne et la lumière des étoiles. Ces rituels sacrés lui apportent une sérénité et une connexion avec les esprits qui l’habitent, dont les petites manifestations l'amusent. Elle rit souvent des petites interactions espiègles desdits esprits, qui jouent avec ses cheveux ou son sac, ajoutant une touche de magie à son existence quotidienne.
Yixian est également marquée par un profond respect des traditions et des coutumes, observant avec attention les rituels des différentes cultures qu'elle rencontre. Cependant, derrière son sourire aimable se cache une peur dévorante : celle de révéler sa véritable nature de yaoguai, et plus encore, celle de sa forme originelle de lanterne. Elle prend toutes les précautions possibles pour dissimuler cette part d'elle-même, redoutant les conséquences que pourrait avoir sa découverte.
La peur d'être touchée est ancrée en elle, fruit d'un traumatisme profond. Lors d'un dernier contact avec la civilisation, le froid glacial du doigt d'une sorcière sur ses parois de bronze l'a laissée marquée à jamais, un souvenir qui hante ses pensées et lui rappelle la fragilité de son existence.
Lorsqu’elle se sent menacée ou intimidée, elle a la manie de serrer sa lance contre elle, comme s’accrochant au vestige de son passé qu’est son arme.
La yaoguai, malgré des siècles d’existence, s’avère encore ignorante du monde qui l’entoure. Par conséquent, elle cherche à apprendre le plus de choses possibles en ce qui concerne ce qu’elle appelle “Le Nouveau Monde”.
Elle cherche par la même occasion à apprendre ce qui a motivé sa transformation en créature humanoïde, essayant de faire le tri dans les causes possibles. Encore très attachée aux coutumes du Sanctuaire qui l’a abritée pendant si longtemps, elle espère arriver à faire le lien entre les esprits qui l’habitent et le monde des vivants, leur servant de conduit pour faire entendre leurs voix.
Elle cherche au fond d’elle à retrouver la sorcière qui a maudit le temps où elle a vécu, cherchant à savoir le pourquoi de cette malédiction. Bien qu’elle ne cherche pas à se débarrasser des conséquences de cette malédiction, elle voudrait simplement savoir pourquoi, peut-être pour pardonner à cette femme ou bien l’aider si cela s’avère possible.
La Forêt des Esprits elle-même était un lieu empreint de mystère et de beauté, où des arbres majestueux aux troncs tortueux s'élevaient vers le ciel, leurs feuilles scintillant sous la lumière de la lune. Des brumes éthérées dansaient entre les troncs, et les murmures des esprits flottaient dans l'air, créant une atmosphère à la fois paisible et envoûtante. Les pèlerins parcouraient les sentiers sinueux de la forêt, attirés par l'appel des voix anciennes et le doux parfum des fleurs nocturnes. Dans ce sanctuaire sacré, la lumière de Yixian était à la fois une lueur d'espoir et un phare dans l'obscurité, unissant le monde des vivants et celui des esprits.Sa conscience prit rapidement forme. Elle s'éveilla il y a bien longtemps à son environnement, découvrant lentement la profondeur de son existence. Bien sûr, elle n'était pas dotée de parole, mais ses perceptions étaient vives : elle voyait, ressentait et humait tout autour d'elle. Accrochée à l'entrée du temple, Yixian observait avec fascination le ballet incessant des voyageurs qui traversaient le sanctuaire.
Chaque jour, elle était le témoin des histoires qui se déroulaient devant elle. Elle voyait le gentil moine au crâne chauve s'affairer à lustrer ses parois de bronze, un acte empreint de dévotion qui éveillait en elle une douce chaleur. La lumière qu'elle diffusait, alimentée par la foi des moines, résonnait avec une énergie sacrée, illuminant le sentier de ceux qui cherchaient refuge dans la forêt des Esprits.
Elle se réjouissait des visites de la famille de tanukis, leurs rires joyeux remplissant l'air tandis qu'ils s'approchaient pour demander une bénédiction pour l'hiver. Yixian ressentait leur espièglerie et leur innocence, comme un doux souffle de vent printanier. Les groupes de voyageurs perdus, cherchant asile, apportaient avec eux des histoires de leurs terres lointaines, histoires qu'elle absorbait avec une curiosité insatiable. Chaque rencontre était une pièce du puzzle de l'existence humaine qu'elle commençait à comprendre.
Parmi ces visiteurs, des âmes plus éthérées venaient parfois, des esprits de la forêt se manifestant sous des formes d'enfants ou d'animaux. Leurs rires cristallins et leurs danses légères apportaient une once de joie à la lanterne, lui rappelant qu'elle n'était pas seule. Ils venaient, comme des phares dans l’obscurité, et communiaient avec les moines, partageant des messages de sagesse et de prospérité, comme si la nature elle-même reconnaissait la lumière qu'elle offrait.
Avec le temps, la conscience de Yixian grandit, et elle commença à sentir les émotions de ceux qui l'entouraient : la tristesse des pèlerins esseulés apportant des offrandes, l'espoir scintillant dans les yeux des chercheurs de vérité, et même la crainte qui parfois s'emparait des âmes égarées. C'était une existence faite de lumière et d'ombres, et au milieu de tout cela, Yixian se tenait, une gardienne silencieuse, tissant un lien fragile mais puissant avec le monde vivant autour d'elle.
Le plus marquant de ces voyageurs était une créature qu'elle n'aurait su définir, un être à la silhouette humanoïde enveloppé dans un mystère qui l'intriguait. Elle savait qu'il portait un grand chapeau qui ombrait son visage, mais elle se laissait volontiers emporter par la mélodie qu'il produisait. Ce voyageur venait régulièrement, s'installait à ses côtés et jouait d'un instrument à cordes, dont le nom lui échappait encore. Les notes s’élevaient dans l’air, légères comme des plumes, et la lumière de la lanterne dansait en harmonie avec la musique, créant une atmosphère envoûtante. Ensemble, ils formaient un duo magique, guidant les voyageurs, les pèlerins, les âmes perdues vers le refuge que constituait le sanctuaire.
Yixian adorait ces moments où la musique et la lumière se mêlaient, et où le joueur de biwa chantait pour elle. C’était un spectacle à la fois réconfortant et vibrant, un instant de communion entre son essence de lanterne et les vibrations de l’instrument. Il fut son premier souvenir marquant, une mélodie qui résonnait encore dans les recoins de sa mémoire, un doux rappel de la vie qui l'entourait.
Peut-être était-ce la musique de cette créature qui lui donna conscience pour la première fois du monde qui l'entourait, éveillant en elle des émotions enfouies. Cet être, avec ses gestes délicats et sa façon d’ériger des histoires à travers les notes, dégageait une magie palpable. Elle en était sûre. Il lui parlait, s’adressant à elle comme si il savait que la lanterne avait une conscience. Son sourire, large et pointu, à la dentition carnassière, n’était pourtant pas menaçant ; il était empli de chaleur et de douceur, un phare de bienveillance dans son existence autrefois solitaire.
Yixian se plaisait à imaginer que c’était peut-être Tsukiyo lui-même qui avait envoyé cet homme étrange pour lui tenir compagnie, un messager des cieux veillant sur elle dans son isolement. Elle ne connaissait pas son nom, mais elle n’avait nul besoin de le connaître. Dans son cœur de lanterne, elle sentait qu'il n'était pas un ennemi, mais plutôt un ami, une âme partageant son parcours, un écho de sa propre quête de lumière dans l'obscurité.
"Joue encore une chanson, mon ami !
Ensemble, guidons les âmes jusqu'à la sécurité du temple !"
Cependant, cette paix fut brisée par l’arrivée d’une sorcière amère et déchue. Cette sorcière, autrefois servante du temple, avait été bannie pour avoir tenté de détourner les rites sacrés à ses propres fins. Sa colère et son ressentiment envers les moines grandissaient au fil du temps, jusqu’au jour où elle revint, emplie de haine. Elle jeta une malédiction puissante sur le sanctuaire, condamnant non seulement les moines, mais aussi les objets sacrés qui y résidaient, dont la lanterne elle-même.
Sous l’effet de la malédiction, le sanctuaire tomba dans le chaos. Les moines furent tourmentés par des cauchemars incessants, leurs esprits s’embrasant dans un tourbillon d’angoisse. Dans leurs rêves, des visages familiers se déformaient, se tordant en grotesques créatures qui les poursuivaient dans des couloirs infinis. Les cris des défunts résonnaient comme des échos de désespoir, se mêlant aux pleurs des âmes perdues. L’angoisse les empêchait de trouver le repos, et le sommeil, autrefois un refuge, se transforma en une prison de terreur.
La lumière sacrée de la lanterne, autrefois pure et rayonnante, commença à vaciller. Elle projetait des ombres sinistres sur les murs du temple, des silhouettes dansant de manière macabre, comme si elles partageaient la souffrance des moines. Yixian, témoin impuissante de cette déchéance, ressentait chaque cri résonnant dans son cœur de bronze, comme une vibration tragique à travers son être. Chaque hurlement des moines était un poids supplémentaire sur son âme, un fardeau qu’elle ne pouvait partager. Pour elle, ces moines et prêtres étaient plus que des gardiens du sanctuaire : ils étaient sa famille, un lien précieux tissé à travers des années de dévotion et d'amour.
Peu à peu, les pèlerins cessèrent de venir, le sanctuaire, jadis un havre de paix et de lumière, fut abandonné. La sorcière, ayant réussi à faire régner le désespoir, ne s’arrêta pas là. Sa malédiction s'étendit au cœur même de la lanterne, imprégnant son essence de la rage et des tourments des esprits piégés dans cet endroit maudit. Yixian se souvint de son dernier contact avec un humain : le doigt morne de cette créature qui l’avait maudite. Un contact glacial, comme un souffle de mort, qui emplissait la petite lanterne d'une terreur infinie.
"Non, ne me touche pas !
C'est de ta faute s' ils sont morts ou partis !
Je te hais !"
Après avoir délaissé le sanctuaire, la sorcière laissa derrière elle un écho de folie. Les moines, rongés par leurs visions cauchemardesques, sombraient peu à peu dans la déchéance. Ils hurlèrent jusqu'à ce que leurs voix ne soient plus qu'un murmure, certains choisissant d’abréger leurs souffrances en mettant fin à leurs jours, tandis que d’autres fuyaient, traînant avec eux le poids de leurs souvenirs brisés.
Yixian assista, impuissante, à la lente dégradation de l'endroit qui avait été sa maison. Elle n'émettait plus de lumière, et si elle avait pu pleurer, elle l’aurait fait. Les souvenirs des moines, prêtres et pèlerins étaient ancrés en elle, gravés dans les tiges de bronze terni, et leurs pleurs dessinés dans le papier de son corps. Le sanctuaire, autrefois vibrant de dévotion et d'harmonie, était désormais un lieu de désolation. Il n'y avait plus de gentil moine pour venir frotter ses parois de bronze. Plus de famille joyeuse de tanukis dansant autour d'elle, ni même d'esprits voletant autour d'elle pour lui dire bonjour. Plus de pèlerins en quête de bénédictions, apportant offrandes et prières. Plus de voyageur perdu, soulagé d'avoir trouvé un refuge, ni de joueur de biwa pour lui tenir compagnie. Le vide qui l’entourait était assourdissant.
Les murs du temple, jadis ornés de motifs gracieux, étaient désormais rongés par la mousse et l’oubli. Chaque fissure dans la pierre semblait raconter une histoire de souffrance et de désespoir, tandis que la végétation envahissante étouffait lentement l’endroit. Le vent portait avec lui des murmures d’âmes tourmentées, et les ombres s’allongeaient, dessinant des formes étranges sur le sol.
Dans cette atmosphère pesante, Yixian se sentait de plus en plus seule, emprisonnée dans son rôle de spectatrice de cette tragédie. Elle savait que son cœur de lanterne contenait les échos des vies qui avaient été, mais chaque souvenir était une douleur aiguë, un rappel constant de ce qui avait été perdu. Elle se remémorait les rires des moines, leurs chants d’adoration, et la chaleur de leur présence, se rappelant à quel point ils lui avaient donné un sens d'appartenance. La mélancolie des âmes tourmentées lui parvenait comme un chant désespéré, et dans ces instants de silence, elle ressentait un profond désir d’interagir avec elles, de les libérer de leur souffrance.
Ainsi, dans cette nuit éternelle où les pleurs des moines résonnaient encore dans son esprit, Yixian s’accrochait à l’espoir qu’un jour, les lumières du sanctuaire brilleraient à nouveau, et qu’elle retrouverait sa place au cœur de ces âmes, non pas comme une lanterne oubliée, mais comme une guide, une lueur d’espoir dans l’obscurité.
Elle était seule, désormais.
"Prince de la Lune, aidez-moi !
Que dois-je faire ?
Que puis-je faire ?"
Était-ce la malédiction de la sorcière, les esprits des moines et prêtres tourmentés, ou bien la lueur bienveillante de la Lune qui lui donnèrent vie ? Difficile à dire, et elle n'en n'est pas sûre elle-même.
Yixian émergea en tant que yaoguai, s'arrachant à la paroi qui l’avait maintenue pendant des siècles. Elle prit conscience de ses capacités de métamorphose, se découvrant un nouveau corps, tâtonnant pour comprendre comment fonctionnait cette enveloppe, elle qui n'avait toujours été qu'une petite lanterne accrochée à un mur. C'est lorsqu'elle tomba à genoux dans la terre qu'elle comprit les détails d'avoir une forme humanoïde.
A présent, elle connaissait la faim lui tiraillant l'estomac, le froid cinglant sa peau, le jour et la nuit, et la peur l'étreindre, jusqu'au plus profond de son être. Elle n'était plus une petite lanterne, mais une forme grande et fine, aux longues jambes qui râclaient la terre, laissant de longs sillons sous les pics qui lui servent de pieds. Elle sentait que sur sa tête, un mélange de cheveux et de métal lui tombant dans le dos lui pesait. Ses yeux se posèrent sur la Lune, l'Astre de Tsukiyo, cherchant du regard sa bénédiction, un souffle, un murmure, un signe. N'importe quoi qui aurait pu la rassurer, car elle était terrorisée de cette nouvelle forme qu'elle venait de prendre. Mais l'Astre Céleste resta muet, si ce n'est sa pâle lueur dans le ciel nocturne. Alors, elle regarda ses bras, nouveaux, longs et fins, et observa longuement les griffes qui terminaient ses mains. Son premier réflexe fut de glisser ce nouvel appendice dans la terre. La sensation qu'elle ressentit à ce moment fut indescriptible. Un mélange de joie, de tristesse, de colère, de paix intérieure. La terre froide sous ses pieds, les grains glissant entre ses pics, le poids lancinant des cheveux longs et épars sur ses épaules, le vent gelé de la Forêt des Esprits qui fouettait sa peau nouvelle, pâle et tendre, bien loin des contours de bronze de son corps de lanterne. Elle leva la tête et pour la première fois, les bruits de la Forêt des Esprits retentirent jusqu'au plus profond de son être: Le hurlement lointain des loups, le hululement des hiboux, le cliquetis des esprits ambiants, le murmure du vent, le chuchotement des feuilles dans les arbres. Yixian leva ce qui lui servait de nez vers le ciel, et elle huma l'air: l'odeur de l'encens froid, de la terre battue par des siècles de pèlerinage, l'odeur du bois humide et le musc des animaux qui couraient entre les pins. Elle sentit aussi l'immense tristesse qui émanait du Sanctuaire, et les larmes coulèrent sur ses joues. Une sensation, une émotion nouvelle, alors qu'elle entendait pour la première fois avec ses oreilles les cris, les hurlements, les prières, les chants, le cantique des âmes qui avaient été torturées ici, jusqu'à l'abandon du Sanctuaire. Elle embrassa ces âmes, ouvrant son cœur de lanterne à ces esprits mornes qui ne demandaient que de revenir parmi les vivants. Elle écouta leurs pleurs, leurs prières, leurs complaintes, et alors que sa forme de yaoguai devenait de plus en plus luisante, d'une lueur douce, chaleureuse, réconfortante, au fur et à mesure de ces chœurs, elle fut emprise d'une terre absolue.
La terreur d'être seule et inutile, de ne plus avoir personne à guider.
Oh, comme les rires, les voix et le son du biwa me manquent !
Que dois-je faire, Prince des cieux nocturnes ?
Désormais, elle errait autour du sanctuaire en ruines, cherchant à préserver ce qu'il restait de son ancienne gloire, tout en étant hantée par la malédiction qui était peut-être responsable de sa propre existence. Les vestiges du temple, autrefois vibrant de vie et de lumière, étaient désormais ternis et silencieux, un écho des jours passés où elle brillait d'une lueur sacrée. Les murs fissurés, les statues rongées par le temps et la végétation envahissante lui rappelaient les souvenirs d’une époque révolue, où la dévotion et l’espoir régnaient en maître.
Après avoir erré pendant des années autour du sanctuaire, perdue, à la recherche d’âmes à guider, la yaoguai commença à réfléchir. La solitude pesait lourdement sur son cœur. Les échos des rituels, des prières et des chants résonnaient dans son esprit comme des souvenirs lointains, des mélodies désaccordées qui ne faisaient que raviver sa douleur. Pour redonner du lustre à cette vieille lanterne, il lui fallait un but. Avant, elle écoutait les supplications des pèlerins, leurs plaintes et leurs espoirs, et sa lueur rassurante avait guidé les voyageurs vers la sécurité du temple. C'était un rôle qu'elle chérissait, un sens à son existence.
Aujourd’hui, il n’y avait plus de voyageurs, plus de pèlerins, plus de moines, plus rien à protéger. Le sanctuaire était devenu un mausolée silencieux, un lieu où l'écho de la vie ne faisait que murmurer des souvenirs d’un passé glorieux. Les ombres dansaient autour d'elle, des spectres de ceux qui avaient été, mais elles ne lui apportaient aucun réconfort. Les échos de la civilisation l'appelaient, une demande désespérée, un appel à l’aide qu’elle ne pouvait ignorer. Elle comprit que pour retrouver son essence perdue, elle devait s'éloigner de ces ruines, embrasser un nouveau chemin.
Elle prit un certain temps pour se construire une enveloppe plus adaptée à la civilisation, une forme humaine qui lui permettrait de se fondre parmi les vivants. Avec précaution, elle façonna sa silhouette, l’aiguisant avec des souvenirs de ce qu’elle avait observé autrefois, espérant évoquer une connexion avec les êtres qui l'entouraient. Elle trouva un sac terni par les années et l’abandon, vestige d’un temps où les pèlerins délaissaient encore des offrandes. Elle s’y engagea dans l’idée d’un nouveau départ avec une détermination renouvelée, y fourrant ce qui restait de son ancienne existence — des souvenirs, des prières, des larmes, et une lueur d’espoir.
Elle se mit en marche, doucement. Les bruits de la Forêt des Esprits l'entouraient, un chœur mélancolique qui résonnait avec sa propre douleur. La vie, les rires, les chants lui manquaient. Chaque pas qu’elle faisait était un pas vers l’inconnu, un pas vers un monde qui avait oublié son nom. Mais elle savait, au fond d'elle-même, qu'elle devait retrouver son but. La lueur vacillante dans son cœur s’intensifiait, alimentée par la détermination de redonner vie à son sanctuaire intérieur et de retrouver sa place parmi ceux qui avaient besoin de lumière. Peut-être, en chemin, elle pourrait apporter un peu de réconfort à ceux qui, comme elle, erraient dans l’obscurité, cherchant désespérément un phare pour les guider.
"Je dois me sortir de cette solitude !
Prince de la Lune, guide mes pas !"
Rejoignant d’abord les villes tiannes, Yixian fut surprise de constater à quel point le monde et les coutumes avaient changé pendant les longues années passées dans la solitude du sanctuaire. La lumière du soleil semblait différente, les couleurs plus vives, comme si tout autour d’elle avait fleuri pendant son absence. Curieuse de ce "nouveau monde" qu'elle ne connaissait pas, elle interrogea les habitants sur les lieux où toutes les cultures anciennes et nouvelles se mêlaient. Les visages, d'abord surpris par sa présence, s'illuminèrent à l'idée de lui faire découvrir la ville d’Absalom, la cité au centre du monde.
"Un lieu où tout le monde se croise," lui dirent-ils, les yeux pétillants d'excitation. Elle s’imagina déjà la diversité des âmes, les histoires qui se tissaient dans les ruelles de cette grande ville. Mais au fond de son cœur, une peur sourde l'étreignait. Si quelqu'un venait à découvrir qu'elle n'était plus qu'une lanterne animée, une yaoguai, cela risquait de tout compromettre. Elle devait absolument se faire passer pour une humaine.
Yixian embarqua sur un bateau à destination de l’ouest, son cœur battant à l'unisson de l'espoir qui l'animait. Chaque vague qui heurtait la coque du navire semblait lui murmurer des promesses de nouvelles rencontres, de défis à relever et, peut-être, de pèlerins en quête de lumière. Pourtant, chaque mouvement lui rappelait qu'elle devait garder son secret. Quoi qu'il arrive, elle devait jouer le rôle d'une simple voyageuse.
Une fois arrivée à Absalom, elle découvrit avec émerveillement cette cité grouillante où elfes, nains, demi-génies, humains, gnomes et autres créatures gambadaient dans les rues sans guerroyer ni se maudire. Les odeurs d'épices, de nourriture cuite, et de fleurs fraîches la submergèrent, faisant résonner en elle des souvenirs de moments passés avec les pèlerins et les moines du sanctuaire. Les rires des enfants, les cris des marchands, et les chants des troubadours lui rappelèrent la chaleur de la communauté qu'elle avait perdue.
On lui recommanda d’aller s’inscrire à la guilde de Ravel, un groupe hétéroclite de gens de tous horizons, où du travail pourrait lui être fourni. L’idée d’appartenir à quelque chose de plus grand qu’elle l’attira, mais elle ressentait aussi une vague d’hésitation. Elle avait été isolée si longtemps, tiraillée entre le désir de se mêler aux autres et la peur de l'inconnu.
La pensée de devoir cacher sa véritable nature, de se forcer à agir comme une humaine, pesait lourdement sur ses épaules. Que se passerait-il si quelqu'un découvrait qu'elle n'était pas comme eux ? Quelles en seraient les conséquences ? Elle ne pouvait pas se le permettre.
Après un moment d'hésitation, elle finit par pousser les portes de la guilde, le cœur battant. À l’intérieur, des visages curieux se tournèrent vers elle, et elle sentit une chaleur familière émaner de ce lieu. Les conversations allaient bon train, entrecoupées de rires et de cris d'excitation, comme si chaque âme présente portait en elle une part de l'espoir qu'elle avait cherché toute sa vie. Mais Yixian savait qu'elle devait rester vigilante, dissimuler son vrai “elle” derrière un masque d'humanité.
Alors qu'elle avançait dans l’effervescence de la guilde, Yixian sentit une vague d'émotions se mêler en elle. Chaque visage qu’elle croisait représentait une nouvelle possibilité, une chance de redécouvrir ce qu'était vraiment la vie en dehors du sanctuaire. Pourtant, la peur demeurait, omniprésente, comme une ombre qui la suivait dans chaque pas qu'elle faisait.
Elle se jurait de protéger son secret, d’apprendre les codes de cette société vibrante, de se fondre parmi eux, tout en gardant sa lueur intérieure cachée sous le poids de son apparence humaine. C'était un nouveau départ, une aventure palpitante mais effrayante, qui lui promettait des rencontres inoubliables, des épreuves à surmonter, et peut-être, au bout du chemin, la rédemption de son âme tourmentée.
Alors qu'elle se mêlait aux autres, un murmure d'espoir flottait dans l'air. La lumière qu'elle avait portée dans le sanctuaire n'était pas seulement une lueur dans l'obscurité ; elle était un phare qui pouvait encore éclairer les âmes perdues, même dans cette nouvelle vie. Chaque jour qui passait serait une occasion de se redécouvrir, de bâtir des liens et, peut-être, de guérir les blessures anciennes.
Avec une détermination nouvelle, Yixian Xiwang se tenait à l’aube d’un nouveau chapitre, prête à embrasser ce monde plein de promesses et de dangers, tout en gardant au fond de son cœur la lueur d'espoir qui l’avait guidée jusque-là.